Robert Neurath

BRATISLAVA PRESSBURG POZSONY. Jewish Secular Endeavors (1867-1938)
Le bonheur de tomber sur un livre qui vous éclaire et un auteur qui partage pleinement votre vision.
Tout bénéficiaire de la multiculturalité inhérente à un lieu à la fois provincial et à la croisée des chemins (Pressburg, Bruxelles, Trieste, ...) se retrouvera dans ce livre lui aussi rare et enrichissant.
Il fait revivre un monde non seulement oublié, mais encore volontairement tu : la vie quotidienne à Pressburg/Bratislava/Pozsony, une seule et même ville, située au bord du Danube si près de Vienne que sa lueur restait visible par-delà la frontière durant la longue nuit communiste.
Pressburg fut très longtemps cosmopolite. Dès que possible, la population juive, émancipée et juridiquement intégrée à la société locale, a joué un rôle proéminent dans la vie culturelle, scientifique, économique, médicale et politique du pays. Le livre en fait état. Cette ville s'est modelée, développée dans un esprit progressiste qui a évidemment déplu aux autorités successives depuis 1938, entraînant encore et encore d'innombrables destructions et réécritures.
L'intérêt est double. Non seulement ce livre ouvre les portes d'un monde qui fait du bien, mais il se dresse face au silence coupable des autorités fascistes, communistes, nationalistes, religieuses et autres (elles ne manquent pas). Pour des raisons très diverses et visant des buts très différents, les podestats successifs taisent sciemment ce monde (disparu sous les coups, au prix d'une extermination longue et quasi totale), espérant ainsi faire oublier jusqu'à son existence. C'est cette antienne que Robert Neurath, par ailleurs brillant scientifique blanchi sous le harnais, n'a plus voulu tolérer. Chapeau bas.

Tant que vous y êtes, offrez-vous ses albums suivants Newcomers' Accomplishments I et II et ne ratez surtout pas l'excellent Protected By Muslims During Wolrd War II. Plein d'histoires inattendues, toutes très humaines qui démontrent qu'une fenêtre d'opportunité même brève fait toute la différence pour sauver sa peau pour bien plus longtemps Beau travail d'impression, aussi. Le livre qui ne plaît à personne - un must au pied du sapin. Testé pour vous : à offrir au tonton jésuite, pour les effets bénéfiques sur son transit intestinal. À défaut, une grande boîte de pruneaux d'Agen.

header4

Sophie Kovalevskaïa

Une nihiliste
C'est quoi une nihiliste ? 'Savez pas ? Pire, vous croyez savoir ? C'est pas un type à lunettes qui pince les lèvres, exaspéré, dans Docteur Jivago ? Eh bien pas du tout. Cet ouvrage, rédigé au 19e siècle, vous révélera tout de façon limpide et vous donnera envie d'être jeune oui, mais seulement si aussi nihiliste.
C'est un roman basé sur le principe très réel de l'inadéquation du système (plus on donne trop peu et trop tard, moins le propriétaire dépossédé est rassuré) et des moyens d'y remédier : contrairement aux parents, des jeunes bien nés, un peu comme Henri Curiel en Égypte, s'investissent auprès des enfants pauvres pour les sortir de leur misère. Aussi, la plus belle cause des nihilistes consiste à épouser, par principe, de futurs condamnés pour leur éviter les pires condamnations, parce qu'être envoyés au bagne en Sibérie, à deux (et pas ensemble), est un peu moins horrible que d'être envoyé seul au ravin Alexis à Petersbourg.
Moi quand je serai grande je serai nihiliste.

Evguénia Iaroslavskaïa-Markon

Révoltée
C'est curieux comme cet ouvrage vous requinque. Cette jeune femme a écrit son autobiographie quelques mois avant son assassinat par les bolchéviques. Peu après, ç'aurait fait le carton. Mais nous nous égarons. Et malgré l'issue tragique dont le lecteur sait tout, il se sent revigoré par les propos d'Evguénia, une fille à qui il ne faut pas en promettre.
Elle est d'une vitalité, d'une volonté, d'une vigueur décapantes et il est à peine croyable qu'elle ait vécu beaucoup de ses aventures en étant amputée des deux pieds (elle ne le mentionne pour ainsi dire pas). Son récit autobiographique, tel que retrouvé dans les archives de la police à Arkhangelsk, vous guérira de la nostalgie d'octobre, des âmes tièdes et de l'aigre cheval blême de Boris Savinkov. C'est pas chez lui que vous trouverez de belles balles comme ça.

Manuel Chavez Nogales

Le double jeu de Juan Martinez
Pour rester parmi les bals et les bolchéviques, suivez donc le périple extraordinaire de ce Flamenco ayant quitté Burgos pour exercer ses talents sur les planches de toute l'Europe. Parti honorer un contrat à Constantinople en 1913, il tenta au mieux d'échapper aux guerres en se réfugiant plus à l'est. Mauvaise pioche. Sa description de la guerre civile est aussi indépassable qu' Une journée d'Ivan Denissovitch à propos des camps.
Manuel Chavez Nogales est un journaliste espagnol de talent, qui a mis par écrit ce périple plein de vie(s) et d'anecdotes stupéfiantes. L'ouvrage contient quelques photos dudit Flamenco. Un caractère !

Puisque vous êtes déjà dans le coin, poussez donc jusqu'au Japon.
Le plus fort, c'est

Takiji Kobayashi

Né en 1903 au Japon, mort quelque trente ans plus tard. Le livre Le bateau-usine est court, beau, humain et vif. Il raconte comme c'est chouette quand on est encore enfant d'être recruté, plus ou moins volontairement, pour travailler sur un bateau qui pêche des crabes et les zigouille, les dépèce et les met en boîte sur le bateau. Si possible en allant pêcher dans les eaux interdites parce que bien moins chinoises que russes. Il ne manquerait plus que de tomber sur des Russes, qui eux connaissent le communisme et pourraient vous en dire ! Paf, ça se passe.
Le charme de cet ouvrage consiste à vous passionner pour un sujet dont vous n'avez a priori rien à caler - pêcher du crabe en mer du Japon, ah oui vraiment ? Une fois le livre lu, vous saurez tout sur la vie, la vraie, au pays du béri-béri. Pas étonnant que la police ait torturé à mort l'auteur de ce livre.

Mori Ogai


Il a écrit Vita Sexualis l'année où Takiji Kobayashi est né. Si vous lisez qu'il s'agit d'un ouvrage érotique, sa lecture vous détrompera. L'auteur a plutôt voulu décrire quel fut le développement de sa sexualité. Vous pouvez croire qu'en 1903, ce style autobiographique, et abordant sans fard la physiologie, courrouçait le Nippon moyen, mais vous en êtes loin. Par contre, vous repenserez eux internats bien de chez nous, aux grands qui vous trouvaient mignonne (alors que vous n'étiez même pas mignon), et vous apprendrez en sus qu'être une femme au Japon, si possible, eh bien non merci sans façon. Instructif, bien écrit, sage à plus d'un titre.

Keigo Higashino


Auteur de romans policiers divers et variés. Vous pourrez tomber sur un polar qui aborde spécifiquement un sujet inconfortable, par exemple les enfants meurtriers, les enfants abusés, les femmes dans la société japonaise (Un café maison), ou ce que chacun se raconte à propos de la sécurité des centrales nucléaires (La prophétie de l'abeille, écrit avant le grand Paf de la centrale de Fukushima).
Ce sont des livres assez épais, où les personnages vous emmerdent pendant plein de pages à tenter de comprendre comment le machin a pu rencontrer le truc, et puis à la fin vous comprenez tout de tout et en reculant enfin les yeux vous voyez que le tableau que vous aviez depuis le début sous les yeux était beaucoup plus vaste et profond.
Atout non négligeable : les intrigues se comprennent même si vous n'y connaissez quasi rien au Japon. Les films tirés de ses ouvrages, par contre, vous laisseront au bord du quai (et c'est souvent heureux - quelles daubes parfois !).


Amin Maalouf

"C'est moi qui ai raison et c'est l'Histoire qui a tort"
En retournant l'ouvrage Les croisades vues par les Arabes dans une librairie, vous avez vu sa photo en quatrième de couverture. Oubliez les poètes élancés, les sourires charmeurs ou les regards pénétrants. Oubliez les vieux à beaux cheveux, les jeunes à l'oeil mouillé. Un prototype d'ingénieur bulgare vous regarde. Il ne s'agit donc pas de séduire le lectorat, mais de lui refiler de la littérature de haute volée, des neurones et de l'âme, des mots ciselés. Faites confiance à la photo et découvrez un excellent ouvrage, qui ne se lit pas comme un roman mais ne vous quittera pas. Pénétrer la vie du Proche-Orient (ou est-il déjà moyen ?) de l'intérieur, avec intelligence et subtilité, c'était de l'inédit. Découvrir les Croisés d'un regard neuf était tout aussi édifiant. Amin Maalouf cite entre autres le témoignage d'un curé découvrant avec surprise que les Croisés mangent non seulement des enfants de Sarrasins mais carrément des chiens ! Tout est donc relatif dans l'émoi du missionnaire.
Amin Maalouf a ensuite encore écrit d'excellents livres, plus romanesques qu'historiques cette fois, qui nous transportent intelligemment dans l'Orient rapproché. Les jardins de lumière, par exemple, pénètrent dans la vie de Mani, ce philosophe (et plus si affinités) qui prônait une vision de la vie faite de toutes les nuances entre le noir et le blanc. Amin Maalouf nous montre comment ce choix éclairé a été jugé dangereux par un peu tous (le bon vieux principe de Swift voulant que dès qu'un être intelligent se manifeste, une conjuration d'idiots s'abat sur lui) , au point de vouloir non seulement le supprimer (l'effrayante secte des étrangleurs le poursuivait sans relâche) mais encore effacer des mémoires ses enseignements. Une propagande efficace puisque le manichéisme, au contraire de ce que prônait Mani, est devenu notoirement l'apologie des extrêmes noir et blanc. Vous voilà mêlés à cette histoire, à votre grand dam. Ceux qui se croyaient embarqués au loin, dans une fiction exotique, se rendent compte qu'ils sont partie prenante et que cette histoire les implique directement. Que croire de ce que l'école et le dictionnaire donnent pour vrai ? Via l'exemple frappant de Mani, Amin Maalouf décrit brillamment les dangers auxquels s'exposent, de tous temps, les intellectuels éclairés, et la réécriture implacable de l'Histoire par les acteurs dominants. À vous de ne pas la prendre comme allant de soi.
Si Le premier siècle après Béatrice est plus faible d'un point de vue strictement littéraire, il entame le virage d'Amin Maalouf vers des essais consacrés au monde contemporain ou à l'avenir qui semble déjà accompli. Béatrice est la fille née dans un monde où, par possibilités techniques et envies qu'on voudrait d'un autre âge, les humains ont fait naître moins de filles que de garçons. Les conséquences déprimantes de ce choix idiot sont abordées tout au long de l'ouvrage.
Les identités meurtrières démonte l'étroitesse de la réduction de son identité à quelques critères d'appartenance. Sommes-nous seulement ce qui nous relie, et à quoi nous réduisons-nous si nous ne nous voyons reliés que par une seule ficelle (ethnique, religieux, géographique) ? Un livre qui rappelle à quel point il est bon d'avoir les cheveux bouclés, happant à tous les vents quelque chose de bon. Une grosse ficelle pendue à un unique boulet identitaire empêcherait tout véritable mouvement.
Amin Maalouf a gardé un accent rocailleux comme s'il était descendu du train hier. Il est devenu physiquement ce qu'il était intérieurement : une bonne bouille. Que demander de plus ?
Amin Maalouf en 2012

P G Wodehouse

"Bon nombre de mes pensées les plus profondes me sont venues quand j'avais les pieds sur mon bureau, mais je n'ai jamais trouvé moyen d'en glisser une seule dans un des romans que j'ai écrits" (Hello, Plum !, Anatolia Editions, 1992, p.283)
Il aime les chiens, il aime le golf, il adore les comédies musicales, et pourtant… il est aimable. Comme il le confesse, il se peut que le voyage ne vous plaise pas, mais une chose est sûre, c'est qu'il vous emmènera là où il vous avait promis de vous emmener.
Pelham Grenville Wodehouse est surtout connu pour deux univers fictifs : celui de Bertram Wooster (un gentleman aussi enthousiaste que candide, membre du club des Bourdons, diligenté par Jeeves, the man's man, idéal-type bourdieusien mettant toute son intelligence dans le sauvetage de l'esprit chevaleresque et de l'apparat d'antan) et celui du château de Blandings où le comte Emsworth, au QI proche de celui de Wooster, vénère l'Impératrice de Blandings, un énorme cochon de concours.
Ses livres ont la cohérence d'un fort bon roman policier, sans à avoir à déplorer pour autant le moindre homicide. Mine de rien, son écriture est formidable. Pas pour rien : ce garçon savait y faire en matière de chansons (250, tout de même). Pour toutes ces raisons implacables, ses livres se lisent, se relisent et se rerelisent les jours où vous avez envie d'autre chose que Les robinsons du rail (Franquin, Jidehem et Delporte).
A n'offrir qu'à ceux et celles que vous aimez vraiment.


Tchekhov a vu juste : les hommes intelligents aiment apprendre. Les imbéciles aiment enseigner. Ce n'est pas qu'ils aient trop de temps, ni trop d'ego : c'est un peu des deux à la fois. Alors ils publient tous azimuts.

Colin Dexter

Mais si, vous savez bien : ce vieux monsieur à tête ronde qui apparaît dans chaque épisode de la série télévisée Inspecteur Morse. C'est l'auteur. L'histoire veut qu'il se soit retrouvé dans une maison de campagne par une morne météo, qu'il n'ait trouvé pour s'occuper que quelques polars et en ait conclu avec agacement : "Je pourrais en écrire de bien meilleurs !". De fait. Amateur de mots croisés, il conçoit le fil narratif de chaque histoire comme une grille dans laquelle tombent peu à peu suffisamment de mots que pour pouvoir en deviner d'autres et trouver whodonit. Les intrigues se passent à Oxford et chaque ouvrage publié en 10/18 était illustré d'une autre étiquette de bière. Évocateur.

David Lodge

Et encore un professeur d'université. Il a écrit des essais, sur la fiction, James ("L'auteur ! L'auteur !"), sur Wells ; et des romans. "La vie en sourdine", qui narre les émois d'un vieux monsieur qui entend de moins en moins, tente de se requinquer le kiki et rate son coup, et continue à rendre visite à son père resté impressionnant. Un vieux petit garçon, quoi - un prof d'unif. C'est drôle, tout comme "Pensées secrètes" qui se passe sur un campus universitaire (la surprise totale) et "Nouvelles du paradis" qui réunit une poignée de personnages à Hawaï, pas toujours pour le meilleur.

Anne Morelli

Et encore un professeur d'université.
Par facilité (ne fût-ce que pour trouver l'ouvrage), on peut commencer par les très abordables Principes élémentaires de propagande de guerre (utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède...).
Les Belges et assimilés apprécieront les Grands mythes de l'histoire de Belgique, ainsi que de l'Histoire des étrangers.
Les hommes et femmes de conviction découvriront qu'ils ne sont pas si seuls en lisant Rebelles et subversifs de nos régions (attention, je n'ai pas dit que ça se lisait comme un roman).
Enfin, vous pourrez offrir le cadeau idéal pour les prochaines communions : "Sectes" et "hérésies" de l'Antiquité à nos jours (et miracle : l'ouvrage apparaît ici ; lisez d'abord les règles d'utilisation en dernière page du document). Parfait pour tout savoir sur les bacchanales...
A.M. en Lada

Claudio Magris

Et encore un professeur d'université.
Comme Anne Morelli, il écrit comme un académique, donc ça ne se lit vraiment pas comme un roman.
Mais Claudio Magris habite Trieste, et là on se doit d'écrire et souvent on a même quelque chose à dire, dans cette ville où les discussions politiques ont jusqu'à récemment valu des jambes cassées.
Son opus sur le Danube reste une somme inégalée. Ne fût-ce que parce que personne d'autre, ni avant ni après, n'avait si pleinement abordé ces endroits traversés par le fleuve. Une somme, en somme. À lire en parallèle avec l'Atlas des peuples d'Europe Centrale, histoire de voyager vraiment confortablement.

Simon Leys

Eh bien oui, c'est vrai : c'est un professeur d'université, et calotin encore bien. Mais il sait vous le faire oublier, l'animal. À part ses écrits académiques (il est sinologue) que vous laisserez sagement sur les étagères, il a écrit plusieurs ouvrages brillants sur la Chine. Ce garçon était intelligent. Il était aussi critique et exigeant. Autant vous dire que Mao ne passait pas la barre - et les maoïstes encore moins. Cinglant et enrichissant.
Rappelez-vous ses propos définitifs dans l'émission barnumo-littéraire Apostrophes : "Que les idiots disent des idioties, c’est comme les pommiers produisent des pommes. C’est dans leur nature, c’est normal. Le problème, c’est qu’il y ait des lecteurs pour les croire."
Vous aimerez encore davantage ses rafraichissants ouvrages sur des thèmes très divers. Orwell. Simenon. Ce que nous apprennent les poissons vus du haut d'un pont. C'est rageant pour les autres, mais quand il aborde un sujet, les autres ouvrages qui en traitent vous paraissent lourds, longs et besogneux. Jetez donc un oeil aux Naufragés du Batavia : écrit avant tout pour dire que Mike Dash venait de sortir un livre bien meilleur sur le même sujet, il parvient, en beaucoup moins de pages, à nous en dire tellement plus et tellement mieux ! Il pense bien, il écrit bien, vous n'avez qu'à tendre la main et vous servir.

Stefan Zweig

Ah, ça nous changera des professeurs d'université ! Dans sa semi-autobiographie "Le monde d'hier", Stefan Zweig explique qu'il a su mettre à profit ses années d'université en consacrant ce temps à faire tout autre chose. Grand bien lui prit. Cet ouvrage est riche d'enseignements et de vie pleine. Les dégénérés fiers de leurs blessures au sein des cercles d'étudiants ; les visions d'une autre Europe ; le cosmopolitisme comme évidence. Dans un tout autre genre, "Le joueur d'échec" est un petit ouvrage qui décrit des joueurs d'échecs lors d'une traversée en bateau. Chacun des deux principaux adversaires (hélà, ce n'est pas qu'un jeu les échecs, c'est une façon de voir le monde) vous en apprend sur les vies et leurs limites. À lire sans hésiter si vous êtes confiné chez vous - ou pire, au boulot - dans le désoeuvrement. Vous saurez ainsi quels dangers vous guettent. Inoubliable.


Ceux et celles qui suivent, il va de soi que vous les trouverez dans la formidable librairie Brüsel. Une enseigne de grande qualité, 2 emplacements (un près de la Bourse, l'autre place Flagey) et aussi 2 patrons (est-ce vraiment comme ça que je dois les appeler ?) qui font toute la différence : Reynold et Fred. Ils organisent plein d'expositions d'envergure, des séances de dédicaces, des publications exclusives et quantité d'autres événements encore plus improbables. Pour vous, c'est facile : en fréquentant Brüsel, vous voilà illico VIP du neuvième art, serrant la paluche à Boucq, donnant d'habiles conseils à Larcenet et complimentant Schuiten pour ses derniers petits mickeys. Et c'est pas plus cher pour autant.
Vous n'y croyez plus, ils en vivent : Reynold et Fred adorent les bandes dessinées et Brüsel est le résultat de leur dur labeur pour vous faire partager leur passion. Vous voudriez que ces deux garçons vous communiquent cette bouillante énergie - et ils le font, les bougres !
Brüsel - 100 boulevard Anspach - 1000 Bruxelles
Ouvert tous les jours y compris le dimanche
logo brüsel_anspachlogo brüsel_flagey

Claire Bretécher

Selon votre numéro de matricule, vous apprécierez ou non Agrippine, Les Frustrés, Baratine et Molgaga, Cellulite (mademoiselle), le Dr Ventouse bobologue ou le fabuleux destin de Monique. Thérèse d'Avila s'impose une fois encore comme excellent cadeau de communion, et Le bolot occidental pour la circoncision.
Les Frustrés rappellent quel est le lectorat du Nouvel Observateur. Il n'a pas changé, il a juste vieilli - et désormais il subit Les cahiers d'Esther, bien fait pour lui.

Christian Binet

C'est, toutes catégories confondues, l'auteur le plus sous-évalué du neuvième art. Sans doute parce que le vrai génie se doit de rester méconnu. Christian Binet, de son vrai nom Jacques-Luc de la Montelière, a ainsi quitté son domaine multimillénaire, abandonné soubrettes, serfs, princesses et destriers pour se consacrer, en un coin discret et en refusant systématiquement les honneurs, aux petits mickeys. Grand merci ! Ceux qui ont grandi avec Fluide Glacial ne l'oublieront jamais.
Kador, le chien philosophe. Certes. Mais aussi L'institution, qui rappelle tellement Paracuellos, que vous en oubliez presque que la France n'était pas tout-à-fait franquiste.
Ensuite Les Bidochon, déjà aperçus dans Kador, déploient toute leur envergure dans ce qu'il convient d'appeler l'oeuvre majeure de Monsieur Binet, et une belle leçon humaine. Monsieur Binet, ou est-ce Flaubert ? a dit un jour " Madame Bidochon, c'est moi" et il a tellement raison. Car Raymonde, débutante aigre et repoussante, s'est ensuite épanouie comme un coquelicot entre les doigts agiles de Christian. Au détour d'histoires belle-familiales, elle s'est découverte courageuse et vengeresse, pas vraiment nihiliste quoique, devenant ensuite écolo, bonne copine, conviviale, touchante, femme, bref terriblement effrayante pour l'ami Robert Bidochon avec lequel vous ne pourrez vous empêcher d'être un tout petit peu empathique. Voilà, c'est fait, les Bidochon sont en vous. C'est monstrueux, mais le pire c'est qu'ils étaient sans doute déjà là avant, et les albums de Christian Binet ont servi de révélateur, c'est tout.
Désormais, les Bidochon vont au musée, la belle idée ! Voilà des musées tels que vous les aimez, un peu endormis, sans hordes de touristes en clapettes ni files démentielles. Les Bidochon ont eu l'oeil : voilà les musées de demain, qui sont aussi ceux d'avant-hier (ça tombe bien), ceux qui nous font du bien et garantissent une confortable distanciation sociale.
Tout qui subit un gouvernement appréciera sans réserve Monsieur le Ministre (deux albums) qui suit pas à pas un ministre des veaux sous la mère. D'une pertinence orwellienne.
Les autres repenseront souvent avec effroi aux terribles leçons de Propos irresponsables (aah, les choix de filières d'études !) ainsi qu'à la justice immanente de l'armoire bretonne révélée par le neuvième album des Bidochon Les fous sont lâchés. C'était vrai, ça reste vrai, et comment tout le monde ne s'en rend-il pas compte et ne voue-t-il pas un culte à Christian Binet, voilà la véritable énigme.
La musique adoucissant les moeurs, enfin ça se discute, vous pourrez justement en discuter autour des albums Haut de gamme, l'idéal comme cadeau de fin d'année scolaire à l'académie de musique. Le must dans ce domaine où Christian Binet excelle tout aussi incroyablement, c'est le livre de blagues (oui ! des blagues ! plein de blagues ! n'est-ce pas qu'il est omnipotent ?) Petites vacheries entre musiciens qu'il a illustré.
Enfin, il nous a donné, comme ça par pure bonté, le meilleur de lui-même pendant le confinement du printemps 2020. Sur son site ouèb. Il est comme ça. Pas étonnant que personne n'en parle.
Troublant. Sur la page Wikipedia qui lui est consacrée, une photo de janvier 2020 vous le révèle tel le portrait, certes vieilli, de l'enfant qui vous avait brisé le coeur : celui dont toutes les créations scolaires ressemblaient à des bites, dans Propos irresponsables. Tout est décidément dans tout.

Jean Jacques Sempé

Mieux que l'aspirine, l'oeuvre de Sempé s'impose lorsque vous êtes alité. Et s'apprécie aussi lorsque vous ne l'êtes pas.
Ses illustrations du Petit Nicolas en font un excellent cadeau de départ en pension, et l'album Ames soeurs trouvera son chemin le jour du mariage. Fâché avec un ami ? Offrez-lui Sincères amitiés - envoyé frais de port payés par le destinataire.


poupoule travaille
©2020 GEYDUSCHEK